Il était une fois, dans une chaumière au bord de la grande forêt, un bûcheron et sa femme qui n’avaient pour richesse que leurs sept enfants et un peu de pain sec à partager. Le dernier-né, si frêle qu’il pouvait tenir dans la paume d’une main, portait le surnom de Petit Poucet. On le croyait insignifiant ; mais dans son minuscule corps battait un cœur vif, habité par une intelligence rare. Vint un hiver de famine où le vent semblait souffler plus fort que la vie elle-même. Les parents, accablés par la misère, conçurent le projet terrible d’abandonner leur progéniture dans les bois. Mais le Petit Poucet, qui n’était pas dupe, glissa dans sa poche des cailloux blancs. Lorsque la nuit étendit son manteau noir, il traça derrière lui un chemin de lumière, et les enfants retrouvèrent la maison comme par enchantement. La seconde fois, hélas, il n’eut pour tout bagage que des miettes de pain. Mais les oiseaux de la forêt, affamés eux aussi, effacèrent son sillage. Alors les sept frères s’enfoncèrent dans l’épaisseur des arbres, là où le silence se fait plus lourd que les pas. Ils errèrent jusqu’à une étrange demeure, sombre et gigantesque, qui appartenait à un ogre. Cet être monstrueux flairait l’odeur des enfants comme le loup devine la brebis. Pourtant, le Petit Poucet sut tromper sa cruauté : par ruse, il échangea les couronnes d’or posées sur les têtes des filles de l’ogre avec les bonnets de ses frères. Dans la nuit, l’ogre, croyant se débarrasser des intrus, égorgea ses propres filles. Les enfants fuirent, mais derrière eux résonna bientôt le tonnerre des bottes de sept lieues. Car l’ogre, déchaîné, s’élança à leur poursuite. La terre tremblait sous ses enjambées. Mais au détour d’un chemin, le monstre, alourdi par sa rage, s’assoupit. Alors le Petit Poucet, plus audacieux que jamais, lui déroba ses bottes magiques. D’un pas prodigieux, il parcourut monts et vallées, devint messager du roi, et gagna par son esprit et son courage plus de gloire et de fortune qu’aucun géant n’aurait pu rêver. Ainsi, celui que l’on croyait trop petit pour peser dans le monde devint le plus grand des frères, prouvant que la ruse et la ténacité l’emportent sur la force brute et la voracité.
Par : Charles Perrault
Source : Contes de ma mère l’Oye | 1697
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