Cette « pantopie » renvoie donc également à un nouveau mode de pensée : une pensée embrassant la totalité du monde et, donc, d’un savoir universel. C’est, en quelque sorte, l’utopie de demain, laquelle consiste non plus à imaginer d’autres lieux, mais à penser, virtuellement, tous les mondes possibles, pour reprendre le langage leibnizien. Cette « pantopie », telle que je la conçois, ne s’éloigne d’ailleurs guère, métaphoriquement, de ce que Leibniz, philosophe, mathématicien et savant à la fois, entendait par le concept de « monadologie », titre de son livre le plus célèbre : une fenêtre ouverte sur le monde, mais aussi sur tous les mondes possibles, y compris les mondes technologiques et virtuels ! Car le virtuel, c’est, par définition, le possible ! C’est aussi là, plus profondément encore, une façon de penser le général, le pluriel, « la pensée synthétique » comme dirait Kant, à travers le particulier, le singulier, « la pensée analytique » comme le dirait encore ce même Kant.
Par : Michel Serres