Vivre dans les rêves

Le rêve ! Un sujet passionnant. Un moment sans limite, ouvert à toutes les interprétations. Un thème transversal à toutes les cultures, comme à toutes les trajectoires humaines.
Bien entendu, les grands textes civilisationnels, religieux ou mythiques, y ont plongé avec délice.

N’est-ce pas dans la Bible, Pharaon qui fait appeler Joseph afin de décrypter la vision qu’il a eue de sept vaches belles et grasses, suivies de sept autres, laides et maigres ? Et voici Joseph qui aide le souverain à se préparer aux années d’abondance puis de famine.
N’est-ce pas Morphée dans les récits grecs, qui renvoie aux mille Oneiroi Ὄνειροι, divinités personnifiant les rêves !
Et l’on parla longtemps, avant d’en modérer les louanges, du peuple senoï en Malaisie qu’un anthropologue Kilton Stewart décrivit dans les années 1930 comme le « peuple des rêves », se les racontant au matin, révélant selon lui une communauté exempte de conflits et de maladies.
Non moins captivants sont bien sûr les Aborigènes australiens référant, comme nous l’avions évoqué, au Rêve, période préalable à tout être, à toute chose !

C’est alors dans ce même cadre du monde onirique que nous nous intéresserons aux Achuar, « gens du palmier d’eau », vivant aux confins de l’Équateur et du Pérou.
Les Achuar appartiennent à la grande famille des tribus Jivaros avec les Shuars, les Aguaruna et les Huambisas.
L’ethnologue Philippe Descola évoque plus particulièrement leur relation très privilégiée aux rêves.
Une relation si riche que de multiples appellations ne manquent pas de désigner avec grande exactitude les divers types de rêve.
On parlera ici de karamprar, c’est à dire d’un « rêve de communication avec un être éloigné », là de kuntuknar, « rêve de bon augure pour la chasse », ou au contraire de mesekramprar, « rêve de mauvais augure », etc.
Pour vous en partager un exemple, « rêver de rencontrer une troupe de guerriers sur le chemin de la guerre est un bon présage pour la chasse aux pécaris ». Nous voilà avisés !
En revanche, « rêver de rencontrer une horde de pécaris furieux est le signe d’une prochaine escarmouche avec une troupe de guerriers » !

Morale de l’histoire : Au prochain rêve dont nous nous souviendrons, imaginons la diversité des interprétations que nous pourrions lui donner selon les Senoï, les Aborigènes australiens, les Achuar ou encore Sigmund Freud !

Comme de nombreux peuples amazoniens, les Achuar ont été extirpés de leur puissante relation au rêve par de sinistres appétits visant à exploiter illégalement les ressources de leur territoire, sols et forêts. Puissent-ils en retrouver très vite le chemin !
Drôle de monde !