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La parenté à plaisanterie

repère(s) :sentiment

Et si se moquer permettait de se réconcilier ? Bienvenue dans le monde de la « parenté à plaisanterie »…

Un exemple ? Nous sommes un samedi, le 10 juin de l’an 2000 à la cathédrale de Ouagadougou, capitale du Burkina Faso. Nous sommes supposés assister aux funérailles nationales du Cardinal Paul Zoungrana. Et bien entendu, la plus grande solennité y est attendue.
Or voici que les Sans, précisément parents à plaisanterie des Mosse (ou Mossi), ethnie majoritaire du pays, investissent soudain la tombe du défunt, essayant d’empêcher le corps d’être enterré. Ah, la bonne blague, à condition d’en partager l’humour !
Finalement, au terme d’âpres négociations, le corps du Cardinal est enfin porté dans sa dernière demeure.

Bienvenue en effet dans le monde de la parenté à plaisanterie, non seulement au Burkina Faso où elle se nomme rakire, mais au Mali, en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Tchad, au Cameroun… en fait dans une vaste part de l’Afrique de l’Ouest et centrale où l’on trouvera bien d’autres appellations.
Cette pratique y est inséparable des relations sociales, s’exerçant entre individus, groupes et communautés ethnolinguistiques.
Inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO, elle vise nous dit-on à « promouvoir la fraternité, la solidarité et la convivialité ».

Si on la trouve entre deux ethnies ou davantage, elle résulte souvent d’un pacte ancestral interdisant les conflits ou les guerres entre elles et encourageant à une coexistence pacifique.
Un moyen pour y parvenir : plaisanter, moquer l’autre, y compris en l’insultant selon un code convenu à l’avance.
Et si l’enterrement précité en constitue un espace possible, aucun lieu en vérité n’y échappe qu’il soit champ, bureau, marché… et que cela se produise à l’occasion d’un mariage, d’un baptême ou d’un divertissement !
Chaque situation reflète alors sa propre histoire et sa singularité. Comme par exemple celle entre Dogon et Bozo au Mali, lesquels par-delà leurs moqueries réciproques, se doivent mutuelle assistance selon une parenté qui prend ici le nom de sinankunya…
Une seule règle : ne jamais nuire à l’autre.

Morale de l’histoire : Accordons toute notre attention aux moyens partout renouvelés de dédramatiser les relations sociales, et participer, comme ici de manière détournée, à désamorcer les conflits…

Mais alors d’où vient cette tradition ? Si certains la font remonter à la vallée du Nil, d’autres avancent plutôt qu’elle aurait été introduite par Soundiata Keïta (1190-1255), fondateur de l’Empire du Mali.
Drôle de monde !

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