Sa vie fut un roman. Franco péruvienne, née à Paris le 7 avril 1803, Flora Tristan prétendait descendre de l’empereur Moctezuma II ou être le fruit d’une aventure qu’aurait eue sa mère avec Simón Bolívar. En fait, de son vrai nom Flore Célestine Thérèse Henriette de Moscoso, elle était la fille « naturelle » de Mariano de Tristan y Moscoso, un aristocrate péruvien, et d’Anne-Pierre Laisnay, une petite-bourgeoise parisienne, émigrée en Espagne pendant la Révolution française. À 17 ans, elle se marie par amour avec André Chazal mais l’idylle tourne court : Flora est une femme battue par son mari. Jaloux et violent, ce dernier ira jusqu’à lui perforer un poumon d’un coup de pistolet, en 1838. Victime de violences conjugales, elle réussit à le fuir en 1825, alors qu’elle est enceinte de la dernière de ses trois enfants (2), et obtient la séparation des biens en 1828. À l’époque, le divorce était interdit depuis 1816, sauf pour des manquements graves. Elle se battra toute sa vie pour abolir ces dispositions.
Elle se considère comme une déclassée, une « paria »
Après avoir confié ses enfants à sa mère, elle devient dame de compagnie auprès de ladies anglaises. Pendant dix ans, elle voyage et travaille à se faire l’éducation qu’elle n’a pas reçue dans son enfance. Elle rentre au Pérou en 1833, dans l’espoir de se faire reconnaître par sa famille paternelle, mais son oncle lui dénie l’héritage complet de son père, vu sa condition de « bâtarde ». En tant que fille naturelle, il accepte toutefois de lui verser une pension pendant quelques années. Celle qui se considère comme une déclassée, une « paria », décide alors de rentrer en France après un court séjour à Lima, la capitale du pays.
De retour à Paris en 1835, elle fréquente les cercles littéraires et socialistes de la capitale, dont les réunions de « La Gazette des femmes ». Influencée par les idées socialistes de l’époque, le saint-simonisme, elle va lutter pour l’indépendance, la reconnaissance du travail des femmes et l’amélioration des conditions de la classe ouvrière. Elle devient une figure majeure du débat social en France et du socialisme utopique dans les années 1840.
Pour enquêter sur la condition ouvrière et répandre ses idées, Flora Tristan s’engage dans un « tour de France », le circuit traditionnel des apprentis compagnons, qu’elle démarre à Bordeaux du 15 au 20 septembre 1843, et qui l’emmène à Auxerre, Chalon-sur-Saône, Mâcon, Saint-Étienne, Avignon, Marseille, Toulon, Nîmes, Agen (où elle rencontre le poète Jasmin), Toulouse, Montpellier, Béziers, Carcassonne. Elle n’achèvera jamais ce périple. Épuisée de fatigue et malade, elle revient à Bordeaux pour se faire soigner par le professeur Élie Gintrac et meurt prématurément, à 41 ans, de la fièvre typhoïde, le 14 novembre 1844, au domicile du journaliste saint-simonien Charles Lemonnier et de son épouse, Elisa, au 4 rue des Bahutiers. Elle sera enterrée le lendemain au cimetière de la Chartreuse, modestement : ses funérailles ne coûtent que 27 francs.
Injustement restée dans l’ombre de ses camarades masculins, tels Karl Marx ou encore Proudhon, de nos jours, elle compte de plus en plus comme une figure majeure des luttes de la classe ouvrière et pour la condition féminine, partout dans le monde. À Bordeaux, chaque 1er mai, des femmes et des hommes se retrouvent en pèlerinage sur sa tombe, et la bibliothèque de Belcier porte son nom, ainsi que l’un des bâtiments de l’université Montaigne. La plaque dédiée en 2021 à Flora Tristan rue des Bahutiers, s’inscrivait dans le cadre du bicentenaire de l’indépendance du Pérou à Bordeaux, jumelée avec Lima depuis 1956.
Par : Cathy Lafon
Source : sudouest.fr | 2023
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