Comment aborder le monde des langues et plus particulièrement de la lecture, sans bénéficier de la vue, laquelle semblerait pourtant à l’évidence indissociable de son destin ? Diverses réponses seront apportées au fil de l’inventivité humaine, dont par exemple celle d’un savant arabe, non-voyant, nommé Zayn al-Din ‘Ali ibn Ahmad al-Amidi qui au 14° siècle élabore une méthode à partir de noyaux de fruits. Celle-ci lui permettra d’identifier les livres et même de résumer certaines informations. D’autres initiatives seront conduites dans les siècles suivants mais n’aboutiront pas soit en raison de leur complexité, soit par manque de diffusion.
Les 18° et 19° siècles vont aider à repenser la question. Nous nous trouvons alors à une époque charnière dans la considération des non-voyants. Ainsi Denis Diderot, futur rédacteur de l’Encyclopédie, rédige-t-il en 1749 sa Lettre sur les aveugles à l’usage de ceux qui voient, insistant sur le sens du toucher qu’il recommande de développer. Dans la même veine, en 1771, Valentin Haüy (1744 / 1822) fonde l’Institut des Jeunes Aveugles. À cette même époque et dans un registre voisin, les avancées de Charles-Michel de L’Epée (1712 / 1789) permettent de mettre au point un code gestuel au service des sourds-muets.
À son tour, Louis Braille (1809/1852) va s’employer à repousser les frontières de l’interdit. Ayant perdu un œil à la suite d’un accident, puis complètement la vue à l’âge de 5 ans, il est très tôt sensible à la communication des non-voyants. C’est pourquoi il vise à établir un principe facilitant leur lecture. S’inspirant d’un système plus complexe élaboré pour les militaires par Marie Charles Barbier de La Serre (1767 / 1841), il conçoit une notation fondée sur l’alternance de six points en creux ou relief. Son premier ouvrage est publié en 1829 même s’il faudra attendre 1854 pour qu’il soit plus largement adopté. D’étape en étape, le braille s’est progressivement adapté aux langues du monde et c’est ainsi qu’il existe un système braille pour le japonais, l’espagnol, le vietnamien… ou le chinois.
Lorsqu’on songe à l’extrême complexité de ce dernier au gré de ses dizaines de milliers de caractères, la solution qui a été mise en place consiste à mobiliser deux ou trois caractères braille permettant de décomposer pour chaque syllabe : son initiale, sa finale et le ton ! C’est ainsi que la syllabe zǎo : « tôt », « matin » s’écrira : en mêlant « z » « ao » et le troisième ton… Bonne lecture !