Souvent… non… en fait, tous les jours de toute l’année, je déambule sur les chemins forestiers qui ouvrent leurs modestes perspectives juste derrière la maison que j’occupe, ici, en Pays de Born. Cheminant, l’un de mes très grands délices, lorsque j’ai la chance, et l’intelligence, de n’être pas préoccupé, c’est de laisser tout ce qui m’entoure entrer en moi : écouter, sentir, voir, s’arrêter aux détails.
Parmi ces détails, il en est un dont j’ai particulièrement plaisir à observer l’évolution au fil des jours printaniers : la renaissance des fougères.
Les vieilles, celles de la saison passée, sont brunes, cassées, effondrées, abattues pour la plupart.
Et c’est au milieu de cette désolation nécessaire que commencent à pointer les fines tiges vertes au sommet desquelles s’enroule en spirale compacte une petite crosse. Je suis fasciné par le très lent déploiement, minute après minute, heure après heure, jour après jour, semaine après semaine, du splendide, complexe, vaste, et fractal feuillage replié dans ce chlorophyllien origami. Et je suis convaincu que, pour lent et ténu qu’il soit, un tel processus ne peut que produire un ou des sons : crépitements, arrachements, décollements, crissements, froissements…
Avouons-le, j’ai déjà stupidement approché mon oreille pour tenter d’entendre. Stupide, la tentative l’est à double titre. D’abord, je suis malentendant, atteint depuis longtemps d’une otospongiose et appareillé, ce qui en dit assez long sur l’acuité de mon audition. Ensuite, il est à peu près certain que le très faible niveau et la très grande progressivité du signal sonore émis le rendent imperceptible même à la mieux affûtée des oreilles humaines.
Est-ce à dire qu’il n’existe pas ? Non, bien sûr.
Est-ce à dire que personne ne peut le percevoir ? Non encore. Que sait-on de ce que la fourmi, par exemple, qui parcourt la crosse végétale, perçoit de ce qui pour elle pourrait bien représenter un mouvement sismique ?
Alors, parce que je pense à ce son, parce que j’imagine ce son, parce que ce son existe, j’ai eu envie de le nommer. Après tout, nous ne percevons pas le spin d’une particule et pourtant nous nommons cette caractéristique mesurable. Nommer les choses est un tel irrépressible besoin humain (et peut-être non humain) !
C’est ainsi que j’ai laissé advenir mon néologisme par l’intuition seule, la pulsion de nommer oralement, de créer un assemblage de phonèmes qui permette de donner substance langagière à ce phénomène particulier. A l’instar, je veux l’imaginer, des premiers hominidés qui éprouvèrent la nécessité de complexifier la communication pour tenter de maîtriser le réel. Un mot m’est venu à l’esprit qui pouvait, selon ma subjectivité, désigner le bruissement imperceptible émanant du lent déroulement des feuillages de fougère : le furfurmure.
Je l’ai adopté sans trop y penser. Désormais, pour moi, au printemps, alors que je passe, mes merveilleuses fougères produisent un furfurmure que je n’entends pas.
Ce matin, alors que j’écris ces lignes, je prends conscience qu’il n’est pas aisé de retrouver la pure spontanéité d’un signifiant né d’aucun passé, d’aucune culture et langage préalables. Dans mon furfurmure, je reconnais la trace de deux mots de ma langue assez bien adaptés à désigner la nature du son que je souhaitais faire exister par un vocable : il y a du furtif et du murmure dans mon furfurmure.
Mais tout de même, il y a néologisme. Et quoi de mieux qu’un néologisme pour nommer l’inouï ?
Auteur : Joël Couttausse