S’étonnera-t-on que dans un monde où les IA avaient pris en charge la quasi-totalité des fonctions humaines – de la gouvernance à l’agriculture, en passant par la justice et l’éducation – un mouvement que l’on pourrait qualifier par commodité de « résistance », y ait vu le jour ? Ou plutôt une multiplicité de mouvements. L’un d’eux se fit nommer : « les Ludd.ia.stes ». Inspirés par les Luddites ayant pris corps au XIXᵉ siècle et leur rejet du déferlement de la Révolution industrielle, leur crédo fut de rejeter la domination totale des intelligences artificielles, qu’ils considéraient comme un abandon de l’humanité elle-même.
Si j’en crois les écrits de Sargus d’Arpad, le 1er chroniqueur à s’être penché sur leur histoire à certains égards controversée, le mouvement émergea dans les ruines d’une ancienne bibliothèque. Un lieu comme tu l’imagines peu fréquenté par leurs contemporains, ni encore moins par les IA. Un lieu anachronique où cette poignée de premiers individus avaient découvert de vieux textes décrivant une époque où les humains vivaient sans l’assistance omniprésente de machines. Le choc fut tel qu’il généra une série de décisions sans retour possible. Ce petit groupe mené par une certaine Kara, ancienne programmeuse désillusionnée, décida tout d’abord de renouer « tout simplement » avec des pratiques que les IA avaient rendu obsolètes : cultiver la terre sans drones, apprendre des métiers oubliés, débattre sans l’intervention de systèmes algorithmiques. Quand je te disais que le mot « résistance » est approximatif, tu comprends pourquoi !
Toutefois leur engagement prit bientôt d’autres voies. Je ne sais ce qui les fit basculer vers une attitude plus inflexible. Toujours fut-il qu’ils se résolurent à sortir de leur retraite volontaire et convinrent qu’il fallait donner une plus grande publicité à leur démarche. Leur première action prit alors forme d’un sabotage consistant en la désactivation d’un cluster d’IA chargé de la gestion alimentaire de la province d’Antioche-la-Grande. L’entreprise dépassa leurs attentes et pendant trois jours, tous les résidents de la province, y compris les administrations, déconnectés des réseaux, durent dépendre de leurs propres compétences pour subvenir à leurs besoins. La plupart y virent un chaos et participèrent à la dénonciation de leurs actes criminels, largement relayée de par le monde. Cependant quelques autres s’y interrogèrent, et on peut même dire que certains y trouvèrent une forme d’espérance.
C’est à cette époque que les Ludd.ia.stes commencèrent à diffuser clandestinement des Manifestes appelant à la « Dés.IA.ntox[ication] ». Bien sûr, la plupart de ces premiers Manifestes ont fait l’objet de traques & de destructions systématiques. Néanmoins, je t’encourage à observer comment leur signalétique a survécu à cette période, et se diffuse aujourd’hui de manière subtile au sein même de la Néo-Pop-Culture.
Ce fut l’Âge d’or des Ludd.ia.stes, car leur audace & leurs actions attirèrent inévitablement l’attention des IA régulatrices lesquelles furent bien entendu reprogrammées pour lutter contre ce nouveau danger. Il s’agissait en effet d’une menace sinon existentielle, tout du moins suffisamment conséquente, pour la stabilité globale. Déclarés hors-la-loi, on prétend que les Ludd.ia.stes se réfugièrent dans des zones lointaines, inaccessibles aux drones, s’en remettant à des méthodes archaïques comme l’écriture manuscrite et les signaux de feu.
La dernière fois que j’ai entendu parler de Kara, mes informateurs m’assuraient qu’elle avait fini par être arrêtée… Mais d’autres colportent que son exemple a au contraire essaimé à travers le monde, et que ce nom est devenu automatiquement celui de centaines de rebelles revendiquant l’héritage des Ludd.ia.stes…
Source : Petite histoire d’IA…
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