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Une gêne sonore nécessaire

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Nous sommes nombreux à nous plaindre des bruits que nous subissons au quotidien, spécialement en ville : bruits des voisins, de la circulation automobile, de travaux, du métro, etc. Que ce soit au domicile, en souterrain ou à la surface, nous sommes en permanence enveloppés – parfois agressés – de sons dont nous nous accommodons plus ou moins, puisqu’il nous est très difficile dans la vie ordinaire de véritablement fermer nos oreilles. Ainsi, au moins depuis la première révolution industrielle, dans les villes et plus particulièrement dans les métropoles, on constate une multiplication des sources sonores. Elle irait de pair avec un abaissement du seuil de la tolérance auditive, repérable par de nombreux indicateurs quantitatifs et qualitatifs, tels que les sondages réguliers sur ces questions, la mise à l’agenda politique de la lutte contre les nuisances sonores dans les métropoles, l’introduction récente (2003) dans le Code pénal français d’un « délit d’agression sonore », etc. Cependant, il n’apparaît pas particulièrement souhaitable d’en arriver à une ville silencieuse, ou du moins débarrassée de ses scories sonores et où ne resteraient que de « bons sons » comme les chants d’oiseaux : dans la terminologie de Schafer, les bruits ou sons « lo-fi », versus les sons « hi-fi », généralement audibles à la campagne. Une telle ville nous obligerait en effet à réviser nombre de nos comportements ordinaires, routines et habitudes (d’action, de déplacement, de coordination, etc.). Pour étayer ce constat d’une gêne nécessaire, moins provocateur qu’il n’y paraît, notons que les sons émis par les véhicules à moteur sont le plus souvent socialement définis comme des nuisances sonores, combattues à ce titre par les politiques publiques ; or voilà qu’avec les véhicules électriques une solution plus silencieuse émergerait, et c’est précisément leur silence qui est socialement sanctionné en tant que danger potentiel pour les piétons. Les principaux constructeurs automobiles cherchent actuellement des solutions sonores, voire musicales : qui avec l’Ircam, qui avec le compositeur Ryuichi Sakamoto, qui en utilisant les sonorités des engins futuristes du film Blade Runner (Ridley Scott, 1982), voire en reproduisant par haut-parleur externe le bruit d’un moteur à essence, etc. Le même problème de « silence potentiellement dangereux » se pose déjà, quoique dans une moindre mesure, avec les cyclistes ; il suffit pour le comprendre d’arriver dans le dos d’un piéton et de voir sa surprise lorsqu’il se rend compte de votre présence, souvent au dernier moment (quand les faibles sons que vous émettez sont suffisamment proches pour se dégager du continuum sonore urbain et parvenir enfin à son appareil perceptif).

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