La charia, c’est l’Enseignement divin. Le fiqh, c’est l’entendement humain de cet Enseignement, ce qu’on peut appeler la doctrine. Le fiqh s’est développé de manière très autonome, à partir de quelques dispositions coraniques et d’une partie du corpus des traditions prophétiques. La question de savoir s’il s’agit d’un droit, au sens où l’on comprend ce terme aujourd’hui, est délicate. Personnellement, j’aurais tendance à dire qu’il n’y a de droit musulman qu’avec l’apparition de l’État moderne, et que c’est donc une invention tardive (19ème siècle). Autrement dit, le droit musulman, c’est le résultat de la volonté de penser le fiqh dans les termes du droit étatique. Aujourd’hui, il existe à mes yeux aussi bien une charia qu’un fiqh et un droit musulman, qui coexistent plus ou moins. Si la charia est ce que j’appelle l’Enseignement divin, elle persistera comme telle comme source de foi, pour les croyants, ou objet d’intérêt historique, pour les sciences humaines. Le fiqh, lui, en tant que mode de compréhension de la charia, continue à évoluer et peut donc connaître des développements. Ainsi en va-t-il du fiqh al-aqalliyyat, qui n’est en aucun cas un droit, mais une doctrine sur la façon de vivre des musulmans en situation minoritaire. Enfin, le droit musulman, c’est tout ce dont le droit des États-nations d’aujourd’hui a hérité de la charia et du fiqh, et ensuite intégré dans ses législations: droit de la famille, droit des successions, parfois le droit criminel, quelques rares dispositions du droit civil, etc.
Auteur : Baudouin Dupret
Source : Interview de Réda Benkirane - iqbal.hypotheses.org - 2014