Voyage dans les langues

repère(s) :

(Ce texte reprend une conférence donnée à l’UNESCO le 21 février 2013 – Journée internationale de la langue maternelle…)

Et si nous partions à la découverte de nos richesses linguistiques et scripturales ? Un court voyage nous rappelant à leur diversité et à l’aventure qui les assemble au nom du plaisir infini de les découvrir et de leur indispensable défense…

(un essai en hommage à la Journée internationale de la langue maternelle – 21 février – UNESCO – réalisé par les étudiants de mmi bordeaux – promotion 2022)

1.      

Nous commencerons notre périple dans les vastes étendues d’Asie centrale au contact de quelques langues turciques. Nous y écouterons les chansons kazakhes au détour d’un marché d’Almaty. Nous découvrirons la poésie turkmène aux côtés de Magtymguly Pyragy. Nous nous laisserons gagner par la magie de Samarkand, Tachkent et Boukhara en compagnie de voyageurs ouzbeks. Puis, un soir venu nous plongerons sur le lac Son-Koul au Kirghizistan. Là, nous nous approcherons d’un conteur manaschi, afin de l’entendre réciter l’une des plus longues épopées humaines, celle de Manas :

« Dans mon rêve de la nuit dernière,
Je me suis installé au sommet d’Ala-Too
Et j’y ai attrapé un jeune aigle baarchin.
Quand je l’ai emmené à la chasse,
Le bruit de ses ailes battantes s’est aussitôt fait entendre,
Impossible de résister à sa colère… »

2.    

Nous partirons bientôt vers les steppes mongoles, et leurs langues, khalka, bouriate, kalmouk… L’on nous y entraînera dans l’extraordinaire diversité scripturale dont le peuple mongol fut doté. Parmi les créations successives, nous y découvrirons tout d’abord les travaux du scribe Tatar-Tonga à la cour de Gengis Khan. Nous poursuivrons en retrouvant le lama Phagspa et l’écriture qu’il produisit au service de Kubilaï, petit-fils du conquérant. Nous nous arrêterons quelques siècles plus tard, sur un symbole de la nation mongole figurant sur le drapeau, provenant d’une écriture dite soyombo créée à la fin du 17e siècle par Jebtsundamba Khutuktu Zanabazar…

3.    

Sibérie ! Un nom qui évoque les grands espaces, la taïga, le foisonnement des peuples confrontés à la rigueur du climat, des formes de chamanisme… Un nom à la rencontre de bien des parlers. Ce seront ici les langues ienisseïennes qui nous embarqueront dans la région du fleuve Ienisseï et que des études ont reliées au groupe des langues na-dené parlées en Amérique du nord. Ce seront là les langues tchouktches-kamtchadales incluant l’itelmène, le koriak, le tchouktche, nous conduisant jusqu’à l’extrême est de la Russie et dans la presqu’île du Kamtchatka. Ce sera encore le youkaguir que nous rencontrerons dans le bassin de la Kolyma. Puis un jour, sur le bas cours du fleuve Amour, dans une hutte proche de celle du chamane, une vieille dame nous racontera en langue nivkhe les histoires du brave Tchoril et de la belle Tcholtchinaï … Nous y prendrons successivement connaissance de leur promesse d’engagement, de la déchirure de leur séparation, et de leurs retrouvailles jusqu’à ce que la jeune femme tresse ses nattes, d’amour…

4.    

Mais puisque nous évoquions le terme de chamane, que dirions-nous d’en retrouver l’étymologie au sein des langues toungouses ? Occasion de nous familiariser avec des univers où l’on pratique l’evenki, le nanaï (appelé également hezhen en Chine), ou encore le mandchou… Que retiendra-t-on de ce dernier dans le grand livre du temps ? Captant sa présence sur un panneau, une enseigne, un antique document officiel, se souviendra-t-on de l’adaptation par un certain Takhai de l’écriture mongole produisant un alphabet dit mandchou, aux tout débuts de la dynastie Qing…

5.     

Nous ferons halte en 2333 av. J.-C. dans l’espace coréen où nous trouverons Dangun 단군 / 檀君, le fondateur, « petit-fils du ciel », né de Hwanung 환웅 et de l’ourse Ungnyeo 웅녀. Puis des milliers d’années plus tard, un nouvel épisode nous fera partager la naissance de l’alphabet coréen en 1443, à l’initiative du sage roi Sejong 조선 세종/ 朝鮮世宗qui déclara :

« La langue coréenne étant différente de la langue chinoise, les caractères chinois ne la rendent pas suffisamment. C’est pourquoi, les gens du peuple désirent une chose et n’arrivent pas à exposer leurs sentiments: cela est fréquent. Ému de pitié, j’ai inventé vingt-huit caractères qui seront facilement appris de tous et serviront aux usages quotidiens. » – (préface du Hunminjeongeum)

6.    

Par un trait sur les eaux de la « Mer (dite) du Japon », ou encore « Mer de l’Est » ou bien « Mer orientale de Corée », nous nous porterons à la rencontre de l’archipel japonais. Et commencerons par nous y aviser de la richesse du peuple aïnou アイヌ. Au contact de ses membres actuels principalement localisés sur l’Île d’Hokkaido (et l’extrême est de la Russie), nous nous laisserons emporter par les sagas dites yukar, nous permettant de découvrir leur culture animiste et tout particulièrement les divinités de la nature, les kamuy, mais aussi l’omniprésent culte de l’ours. Sur une cloison, un portrait, celui de Shigeru Kayano萱野 茂 (1926-2006), né dans le village de Nibutani, nous rappellera qu’il fut le premier de sa communauté à prendre place au Parlement (Diète) du Japon.

7.     

Nous voici à présent emportés dans les temps d’Izanami & Izanagi, aux premières heures où l’archipel se forma, tandis que les textes les plus précieux en refléteraient les épisodes fondateurs et ceux qu’ils enchaînèrent. Ainsi du Kojiki 古事記, litt. « Chronique des faits anciens », suivi du Nihon shoki 日本書紀, « Annales ou Chroniques du Japon »… Dans l’inestimable tourbillon des arts et des artisanats, et au gré des paysages les plus variés, notre attention se portera d’une laque à un court poème, d’un pétale à une ombrelle… Au virage du premier millénaire, et dans la fraîche maîtrise des kanas, la dame Sei Shonagon 清少納言 nous invitera dans son fascinant registre des Choses, des « Choses qui font battre le cœur », des « Choses qui semblent vulgaires », des « Choses impatientantes », et combien d’autres…

8.    

Revenus sur le continent, il sera alors temps d’aborder les côtes de la vaste Chine et de sa civilisation unique en tout point. Plus que jamais nous y comprendrons qu’une vie ne saurait suffire à dévoiler ne serait-ce que la surface de ses richesses. Et c’est bien pourquoi nous nous laisserons guider par nos hôtes qui nous emmèneront en ce jour sur les montagnes Huangshan 黄山, surplombant la longévité d’une histoire inégalée et de son exceptionnelle sédimentation. Nous savourerons par le verbe et par le signe, des œuvres prestigieuses de la littérature universelle. Celles-ci nous tiendront éveillés tard dans la nuit, tandis que nous découvrirons les épisodes du « Rêve dans le Pavillon rouge 红楼梦 », « Au bord de l’eau 水滸傳 », « La Pérégrination vers l’Ouest 西游记 », « Les trois royaumes 三国志演义 ». L’immensité de l’écriture chinoise nous entraînera ainsi dans une forêt sans limites où nous serons initiés à l’existence de dizaines de milliers de formes, en leur combinaison et leur évolution continue…

9.    

Au son tonal des langues chinoises, nous partirons à la découverte de variantes réparties à travers le territoire. Hormis le mandarin, fondé sur le parler de Beijing, il nous faudra ici compter avec le wu pratiqué à Shanghai et le delta du Yangtsé, le cantonais, également nommé yue 粤语, parlé dans le Guangdong et le Guangxi, mais aussi Hong Kong et Macao, ou encore le gan 赣语, dans et en proximité du Jiangxi, le hakka (ou kejia) 客家, le min 闽语employé dans le Fujian ou le xiang 湘语 parlé au Hunan… Au passage, nous découvrirons comment le système braille s’est placé au service des langues du monde, du russe à l’hindi, de l’anglais à l’arabe, du zoulou au… chinois !

10.                      

Sur ce même espace de Chine aux accents d’infini et tout en nous rappelant que la journée mondiale de la langue chinoise se tient le 20 avril, nous nous émerveillerons des innombrables variations issues de 55 minorités nationales parsemées sur tout le territoire et clamant la vitalité de bien d’autres groupes linguistiques : zhuang, hui, miao, yi, pumi, bonan, ouïghour, etc. Au cœur de la province du Yunnan, nous nous intéresserons plus particulièrement chez les Naxi à l’incroyable écriture dite dongba, et à ses envolées pictographiques comparables à nulle autre. Et puisque nous parlons d’écriture, comment ne pas nous enthousiasmer devant l’histoire du nüshu, cette écriture exclusivement pratiquée par les femmes dans la province du Hunan !

11.                        

Bientôt au grand sud-ouest, nous accueilleront les vertigineuses étendues des chaînes himalayennes. Occasion de nous familiariser avec des représentants des langues tibéto-birmanes (tibétain, dzongkha, gurung, sherpa…), mais aussi de langues indo-européennes comme le népalais नेपाली … Après l’évocation du Bardo Thödol བར་དོ་ཐོས་གྲོལ, Livre des morts tibétain, nous ouvrirons l’épopée du roi Guésar, inscrite au Patrimoine culturel immatériel de l’humanité en 2009 et qui nous permettra de mieux comprendre le lien entre peuples tibétain et mongol…

12.                       

Puis nous dévalerons les pentes himalayennes, afin de mettre le pied en Inde et dans les pays proches, Pakistan, Bangladesh, Sri Lanka, terres spirituelles par excellence… Nous y serons attentifs aux influences indo-européennes et aux langues qui les ont diffusées (sanskrit संस्कृतम् , hindi हिन्दी, bengali ou bangla বাংলা , ourdou  اُردُو , panjābī ou pendjabi ਪੰਜਾਬੀ , singhalais සිංහල , romani, gujarātī ગુજરાતી , etc.)…

13.                       

Nous nous placerons ensuite à l’écoute des langues dravidiennes (tamoul தமிழ் , malayalam മലയാളം , telougou తెలుగు , kannada ಕನ್ನಡ , brahui, gondî…). Nous découvrirons que si la plupart d’entre elles sont situées dans le sud de l’Inde, d’autres se trouvent au Pakistan et à Sri Lanka. Des études génétiques contribueront-elles à éclairer leurs origines liant les Dravidiens à des populations néolithiques d’Asie occidentale ayant migré vers le nord de l’Inde il y a plus de 12 000 ans ? Seraient-ils ainsi descendus vers le sud après la disparition de la culture de la vallée de l’Indus ?…

14.                       

Un jour de Vijayadashami, jour de victoire célébrant les exploits de Rama, comme ceux de Durga, nous en profiterons pour commencer l’apprentissage des écritures. Et en bien des lieux, nous nous laisserons gagner par la puissance des textes anciens et de la langue qui les consacre, le sanskrit संस्कृतम्. Ainsi des vers du Rig Veda :

« Je chante Agni, le dieu prêtre et pontife, le magnifique héraut du sacrifice…
Illustre Vâyou, viens, et prends ta part de ces liqueurs préparées avec soin ; écoute notre prière…
Indra et Vâyou ! C’est pour vous que sont ces libations ; venez prendre les mets que nous vous offrons ; voici des boissons qui vous attendent…
J’invoque Mitra, qui a la force de la pureté, et Varouna, qui est le fléau de l’ennemi : (ces dieux) accordent la pluie à la prière qui les implore… »

15.                       

Attentif aux variations régionales, mais aussi aux influences indiennes ou chinoises, nous traverserons Birmanie, Thaïlande, Laos, Cambodge, Vietnam… et serons admiratifs des trésors culturels qui en témoignent. Outre la poursuite de notre approche des langues tibéto-birmanes, birman  မြန်မာစာ ou မြန်မာစကား, akha, karen… diverses autres familles linguistiques nous y recevront dans les atours les plus colorés… Partagées avec la Chine ce seront ici les langues tai-kadai (thaï ภาษาไทย, lao ພາສາລາວ, gelao…), là les langues miao-yao également dites hmong-mien. Nous arpenterons les allées de Sukhothaï afin de rendre hommage au roi Rama Kamheng et à l’écriture qu’il mit au point… Nous partagerons les mystères du pays du million d’éléphants et lirons la Chronique du Palais de cristal au royaume de Pagan.

16.                       

… À leur tour s’animeront les langues austro-asiatiques dont certaines pointeront vers l’Inde (môn, khmer  ភាសាខ្មែរ, vietnamien  Tiếng Việt, nicobarais, munda…). Nous fêterons le Nouvel An khmer (Chaul Chhnam Thmey បុណ្យចូលឆ្នាំថ្មី) dans la citadelle d’Angkor Vat, et nous souviendrons au Vietnam de la fête du Trang-Nguyên et de ses élans poétiques.

17.                       

Nous nous dirigerons plus au sud à la découverte de la vaste famille des langues austronésiennes s’étendant de Madagascar (malgache) à l’Île de Pâques (rapa nui). C’est alors une immensité de nature et de cultures qui s’offrira à nous en plusieurs étapes au gré des langues malayo-polynésiennes occidentales, centrales ou orientales, sans oublier une branche dite formosane. Dans la branche occidentale outre le malgache, nous trouverons la diversité des univers indonésien, malais, javanais, batak, tagalog, makassar, balinais, et combien d’autres encore…

18.                      

Dans la branche orientale, les espaces des langues halmahera et océaniennes s’entremêleront pour exprimer la vitalité des peuples et des eaux qui les ont disséminés : maba, fidjien,  gilbertin, nauruien, langues kanak… Parmi eux, l’aventure polynésienne aux rythmes samoan, tonguien, tuvalien… tracera l’épopée d’une lointaine migration et de ses épisodes successifs. Un vieux sage maori nous parlera de l’île originelle, Hawaiki…

19.                       

Profitant de notre traversée de l’océan Indien, nous aurons pris le temps de nous intéresser à divers créoles et à leur constitution historique. Aurons-nous ainsi porté notre attention sur les créoles réunionnais, seychellois, rodriguais ou chagossien ? Aurons-nous fait halte sur l’Île Maurice à la rencontre du créole mauricien ? De ses racines puisant dans le créole bourbonnais, à ses influences malgaches, puis plus récemment indiennes ou chinoises, jusqu’à ses emplois littéraires et musicaux, comment ne pas prendre toute la mesure de l’aventure sans cesse renouvelée de nos langues, de leur impressionnante vitalité !

20.                     

Quel ne sera pas notre enchantement lorsque posant le pied sur le sol papou, nous y serons confrontés par-delà la créolité du tok pisin et le pidgin hiri motu, aux centaines de langues qui s’y sont manifestées. Nous irons les trouver entre montagnes et vallées, à la rencontre des habitats sur pilotis, de la préparation du sagou ou encore de magnifiques ornements et parures. Langues angan, chimbu, dani, goilalan, ndu, sentani… y animeront un ballet d’une exceptionnelle richesse !

21.                       

Jadis, la terre était à portée de marche pour se rendre toujours plus au sud, et c’est bien ce chemin qu’auraient emprunté il y a des dizaines de milliers d’années les ancêtres des Aborigènes australiens. Nous y côtoierons les héritiers du Rêve (djugurba, tjukurpa) qui nous conteront le Serpent Arc-en-ciel, et les êtres premiers qui peuplèrent ces terres et en configurèrent le moindre aspect. À la découverte de groupes linguistiques australiens et de langues qu’elles soient pama-nyungan ou non, pitjantjara, mardu, warlpiri, yolngu, arrernte… nous nous interrogerons sur leur ascendance, leur patrimoine, leurs correspondances, comme leur fragilité. Un soir venu, proches du feu, un ancien nous dira le monde de Bur Buk Boon, et l’apparition du didgeridoo qui entonnera son chant…

22.                      

Traversant le Pacifique vers les grands espaces d’Amérique du Sud, nous en aborderons bientôt les côtes. Et d’emblée, face à l’immensité de ces territoires, un questionnement nous assaillira. Par où entreprendre sa découverte ? Comment en dire la diversité ? En réponse à nos attentes, les voix de la Terre et du Ciel, celles de l’Eau et des Arbres, se feront entendre partout sur notre route. Qu’elles proviennent des Aymaras sur les pentes andines ou des Shuars, des Kayapos, ou encore des Yanomamis, des Guaranis, des Mapuche ou des Yagans (Yámanas), ce seront partout traditions et récits qui nous prendront par la main pour nous mener au plus profond des mythes et des songes, en ces terres éternelles où la parole reprendra tout son sens…

23.                      

Et ici comme ailleurs, viendront nous rejoindre des temps plus modernes avec leur lot de rencontres plus ou moins heureuses. Et à côté de milliers de patrimoines culturels et linguistiques, s’affirmeront une série de langues européennes, qu’elle soit espagnole, portugaise, française, néerlandaise, anglaise… Un cas particulier, retiendra notre attention, celui du portuñol, mot-valise contractant « portugués » et « español » reflétant la vie de ces parlers dans les régions où ces deux langues coexistent…

24.                     

C’est dans un tel tourbillon que nous gagnerons l’Amérique centrale pleinement alertés de la grande diversité des langues amérindiennes qui, après les familles tupi-guarani, macro-jê, quechua, pano-tacanane ou jivaroane… se feront à présent oto-mangue, avec les langues zapotèques, mixtèques ou popolocanes… uto-aztèque en pointant vers le nord, shoshone, hopi, huichol… Puis sur les terres mayas à la rencontre de leurs langues, cakchiquel, k’iche’, ch’ol, tzotzil…, nous sera contée l’histoire du Popol Vuh et de l’insondable sagesse du maïs…

25.                      

Plus tard en nahuatl, des héritiers de la grande civilisation aztèque, nous parleront de l’Aztlan originelle comme hier leurs frères polynésiens nous contaient les sources d’Hawaiki. Et en ces mêmes latitudes, nous effectuerons une navigation dans la beauté des mers Caraïbes et leurs langues, en particulier d’autres créoles qu’ils soient haïtien, jamaïcain, dominicain, grenadien, guadeloupéen, martiniquais,  pour notre plus grand bonheur…

26.                     

Filant vers le nord, ses étendues rocheuses et ses plaines, nous nous familiariserons  avec de nouveaux ensembles culturels qui enrichiront notre regard de leur sagesse et de leur sens de vivre, par-delà les soubresauts des temps. De grands ensembles de langues auront tôt fait de témoigner des trésors de ces espaces ouverts au vent, à la lune et au soleil : famille na-dené, avec les langues athapascanes, le tlingit…, famille algique, avec les langues algonquiennes, abénaqui, arapaho, cheyenne, micmac, shawnee, cri, ojibwé… ou encore le yurok, famille siouane, lakota, crow … ou encore famille iroquoienne, huron, cherokee, tuscarora, mohawk …  

 Un jour, nous entrerons dans l’inipi, et là dans le bien-être de la sudation, nous partagerons la vision de ces espaces sans frontière tandis qu’un avertissement émanant d’une sagesse éternelle résonnera longtemps dans nos mémoires :

« Lorsque le dernier arbre aura été abattu,

le dernier fleuve pollué,

le dernier poisson capturé,

vous vous rendrez compte que l’argent ne se mange pas… » 

Alanis Obomsawin

27.                      

Nous arriverons alors aux Pôles, à la rencontre de la famille eskimo-aléoute. En ces heures de bouleversement climatique qui affecte leur environnement, nous nous demanderons comment une meilleure connaissance des cultures et de leurs langues (aléoute, inuktitut, iñupiaq, inuktun, yupik…) pourrait aider à préserver leurs valeurs et à ouvrir à l’idée d’un attachement plus large à la conscience de l’humanité. Deux femmes inuites se feront face pour nous offrir toute la beauté riante d’un katajjaq…

28.                     

Glissant sur l’étendue du Groenland, nous y trouverons la trace des peuples scandinaves et nous nous laisserons aller à imaginer la diversité de leurs cultures et langues. Suédois, norvégien (dans ses deux variantes écrites : bokmål et nynorsk), danois, islandais, féringien… nous attireront dans leurs filets linguistiques indo-européens, sur le versant germanique septentrional. Avec la lecture des Eddas scandinaves, ce ne sera pas seulement l’éclairage d’une récente trilogie qui s’en trouvera facilitée, mais la continuité d’un patrimoine forgé par des peuples qui rayonnèrent bien loin de leur base. Qui mieux alors que les runes, et tout particulièrement cette pierre de Jelling, considérée comme l’acte de fondation du Danemark, pourra en témoigner !

« Le roi Harald fit faire »
« Ces stèles pour Gorm son père  »
« et, ce pour Thyra sa mère »

29.                     

Après une escale sur les terres samis, en compagnie des élevages de rennes et du chant dit joik, nous ferons un crochet par l’ensemble finno-ougrien. Y est également rattaché le hongrois, lui-même inclus dans l’espace ouralien qui comprend en outre les langues samoyèdes (nénètse, nganassane…). Occasion également de faire une petite différenciation balte entre l’estonien, membre de cette famille finno-ougrienne, proche du finnois, et ses voisins lituanien et letton, appartenant quant à eux aux langues indo-européennes. Quant au finnois lui-même, nous nous rappellerons au travail acharné d’Elias Lönnrot, et de sa fascinante collecte du Kalevala.

« Voici que dans mon âme s’éveille un désir, que dans mon cerveau surgit une pensée : je veux chanter ; je veux moduler des paroles, entonner un chant national, un chant de famille (…) Ô frère bien aimé, compagnon de mon enfance, viens, maintenant, chanter avec moi, maintenant que nous voilà réunis… » 

30.                     

Empruntant le couloir carélien, nous entrerons dans les espaces slaves. Le terme ‘Rus’ lui-même ne désignait-il pas les Vikings installés en Russie ? Moment rêvé pour faire le lien et nous éveiller, des Balkans à l’Oural, de Moscou à Sofia, entre écriture cyrillique et alphabet latin, à des cultures que les langues reflètent à merveille : russe (dont la journée mondiale a lieu le 6 juin, date anniversaire de la naissance d’Alexandre Pouchkine), biélorusse, ukrainien, polonais, sorabe, tchèque, slovaque, serbe, croate, slovène, bosnien, bulgare… Là dans l’atmosphère d’une cabane sylvicole, on nous avisera des esprits de la forêt comme ceux de la maison. L’évocation d’un domovoï nous aidera à comprendre qu’il faut se les concilier…

31.                       

La Russie ouvrira ainsi définitivement les portes de l’Europe où des groupes linguistiques successifs, continueront à nous conter l’extraordinaire famille que constituent les langues indo-européennes. Après l’évocation des langues indo-aryennes et plus récemment la branche scandinave, nous élargirons notre regard sur le groupe germanique, non seulement avec l’allemand, l’anglais (journée mondiale le 23 avril, date de la naissance de William Shakespeare), le néerlandais, mais aussi le saxon, le frison, le flamand, ou encore l’afrikaans parlé bien loin de là…

32.                      

À leur tour les langues romanes se feront complices de notre voyage dans la grande diversité de leurs groupes, espagnol (journée mondiale le 12 octobre), portugais, catalan, occitan, italien, roumain, rhéto-roman, français (journée mondiale le 20 mars)… Bien des langues y appelleront notre observation : mirandais, frioulan, ladin, romanche, lombard, provençal, moldave, aroumain… histoire de nous rappeler à l’étendue d’une diffusion dont le latin populaire fut le héraut sans pareil. Occasion également de nous arrêter sur l’incroyable destin de l’écriture latine qui a gagné la planète se plaçant au service d’innombrables langues appartenant aux familles linguistiques les plus variées… Au passage, nous serons tout attentifs à cette variante sifflée de l’espagnol qu’est le silbo gomero pratiqué aux Canaries…

33.                      

Voici que les langues celtiques, breton, gallois, cornique, irlandais, écossais, mannois… sortiront du grand chaudron du Dagda, qui garantit à tous de ne pas vieillir, et de surmonter les épreuves. Nous renverrons à la culture de la Tène, second âge du fer, succédant il y a 2500 ans à celle de Hallstatt. Remontant ainsi le cours du temps, nous retrouverons la trace de langues plus anciennes qu’elles soient gauloise, celtibère, ou encore galate…

34.                     

La famille indo-européenne n’en sera pas épuisée pour autant, car bientôt se révèleront les branches albanaise (en ses variantes tosque et guègue) et grecque. Sur ces terres, bien de nouveaux élans nous porteront à comprendre combien la langue y a joué un rôle moteur. En Grèce, nous nous laisserons porter par une avalanche de repères livrés aux civilisations, alors qu’une écriture, une fois encore, donnera sa puissance en ce lieu où l’on commença à noter les voyelles…

35.                      

Avant de quitter les terres continentales européennes, nous effectuerons une fascinante escale au pays basque et en sa langue inclassable, euskara, diversement apparentée selon les uns aux Imazighen (Berbères), selon d’autres au Caucase… Alors viendra le temps de voguer sur la Méditerranée, où nous serons bercés par le flot des langues maltaise, corse, sicilienne, sarde… témoins de multiples influences.

36.                     

Et voici l’instant où nous mettrons le pied sur le vaste continent africain, celui de nos origines communes, en ce berceau premier à l’aventure humaine. Juste retour aux sources, aux sources de nos migrations, fervent hommage à la diversité du genre humain renvoyant à la pluralité linguistique & culturelle de ce continent. Partageant la beauté des espaces linguistiques des Imazighen, ouvrant notre vision à l’écriture tifinagh, nous serons tout particulièrement attentifs à la place que prennent les langues berbères dans le dispositif de territoires complexes où d’autres vecteurs se sont affirmés en interrogeant la pratique, la reconnaissance… Tamazight, tachelhit, tamacheq, tarifit, taqbaylit, amazighe,… viendront dans une grande assemblée proclamer la force de peuples dignes et justement fiers de leur ascendance et de leur destin…

37.                      

L’Afrique n’aura donc pas tardé à nous avaler dans son tourbillon de rythmes et de couleurs, de danses et de saveurs. Un immense ensemble linguistique s’imposera alors, celui des langues nigéro-congolaises qu’elles soient mandées, gur, kwa, adamawa-oubanguiennes, ouest-atlantiques… Explosion de cultures, et de rites, de musique, et de mythes… Multiplicité des grandes aventures civilisationnelles avec les Wolofs, les Peuls, les Bambaras, les Akan, les Mossi, les Igbos… Tout au long de nos chemins, un flot permanent de cultures nous inondera de sa modernité ! Aimé Césaire nous confiera au passage que « l’homme de culture doit être un inventeur d’âmes ».

38.                     

Par-delà toutes ces évocations, un éclat de rire cristallin traversera l’immensité africaine,  renvoyant à tant et tant d’histoires, où les enfants de Nommo au pays dogon, et ceux de la sage parole d’Ifa au pays yoruba, où les pierres de Békora au pays bété de Frédéric Bruly Bouabré, et l’histoire bamoun des enfants de Njoya, s’associeront par la magie d’une constante vitalité et de son perpétuel renouveau. Une devise en langue sango nous confiera, zo kwe zo : « Tout homme en vaut un autre. »

39.                     

Les langues bantoues (parfois reliées aux langues nigéro-congolaises) se détacheront à leur tour alors que nous nous envolerons vers de nouveaux espaces enrichis d’une mosaïque d’identités et de savoirs. D’une zone à l’autre, entraînant notre  découverte, les mondes zoulou, xhosa, sotho, ndebele, tswana, umbundu, lingala, kikongo, chichewa, swahili, kikuyu, luganda… joueront de leurs apports respectifs…

40.                                          

Notre traversée africaine se conclura par une remontée vers le nord, enchaînant quelques dernières familles linguistiques, nilo-sahariennes, qu’elles soient songhaï, nubiennes ou soudaniques, dinka, nuer… Amorcé par les langues berbères, un grand ensemble dit afro-asiatique (ou encore chamito-sémitique) s’y nourrira. Ainsi des langues couchitiques, afar, somali, oromo… omotiques, gimira, gamo… tchadiques, haoussa, mandara…, égyptiennes, avec la présence du copte, ou encore sémitiques, amharique, tigrigna (ou tigrinya), tigré…

41.                     

Nous traverserons la mer Rouge au contact d’autres langues sémitiques, alors que des mondes anciens se réveilleront qu’ils soient de Babylone, de Phénicie, d’Ougarit, d’Akkad… Les stèles d’Hammourabi y surgiront dressées dans tout l’apparat de leurs lois, pendant que des fouilles seront entreprises à Ninive pour en extraire des milliers de tablettes. Bientôt s’y déploieront les langues araméenne et hébreu. Concernant cette dernière, nous suivrons son cheminement plurimillénaire, sa dimension religieuse, la création de son alphabet, en particulier sous sa forme dite hébreu carré, et jusqu’à la réinvention de cette langue sous l’impulsion d’Éliézer Ben-Yéhouda (1858-1922) אֱלִיעֶזֶר בֶּן־יְהוּדָה…

42.                     

Retrouvant la famille turque du début de notre voyage au sein de laquelle il faudra également compter les langues azéri ou gagaouze…, nous arpenterons le sol turc et son passé ottoman, au son du ney et du oud, et dans le fascinant tournoiement des derviches. Nous nous intéresserons tout particulièrement à la formation de ses mots portée par ses qualités agglutinantes…

43.                     

Non moins fascinante sera notre plongée dans l’exceptionnelle destinée de la langue arabe (journée mondiale le 18 décembre). De son berceau à son expansion, quelle impressionnante vitalité dont les formes classique ou dialectales (algérien, marocain, syrien, irakien, égyptien, tunisien, libanais…) enrichiront constamment le patrimoine. Et que dire de son écriture dont l’usage, magnifié par ses variations calligraphiques, coufique, nashkhi, thuluth… accompagnera l’expansion de l’Islam…

44.                      

Puis nous partirons vers l’est à la rencontre de la famille caucasienne où le géorgien se manifestera, de même que les langues abkhaze, ingouche, tchétchène, avar… Le géorgien appartenant aux langues dites kartvéliennes, se manifestera dans ses plus beaux atours scripturaux au détour des différents systèmes qui s’y sont succédé, l’alphabet actuel étant nommé mkhedruli მხედრული…

45.                     

En ces espaces tant convoités du Caucase, nous prendrons le temps de découvrir les antiques terres ourartéennes devenues celles d’Arménie. Nous y ferons la rencontre de sa langue indo-européenne, en ses variantes orientale ou occidentale. L’esprit d’un moine, Mesrop Machtots, planera sur nos pas, lui qui fut père de l’écriture…

46.      

C’est alors non loin de là, dans les espaces iraniens, que s’achèvera notre voyage avec l’évocation finale de ce dernier groupe des langues indo-européennes. Outre la langue persane, riche de sa littérature et de son apport civilisationnel, nous rejoindrons les terres d’Asie centrale à la rencontre du kurde, du pashto (ou pachtoune), du dari, du tadjik, de l’hazara… Une poésie du grand Rumî y emplira le chemin de notre âme…

« Je ne suis pas moi-même, tu n’es pas toi, tu n’es pas moi ;
Et cependant, je suis moi, tu es toi et tu es moi.
L’état où tu m’as mis est tel, ô idole de Khotan,
Que je ne sais si je suis toi, ou si tu es moi. »

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Et tandis que tant de fragments de cette épopée tourbillonneront en notre esprit, nous prendrons un moment de choix pour nous interroger en son terme sur toutes les initiatives qui au fil de l’histoire humaine, se sont attelées à la réinventer de manière construite, souvent personnalisée. Nous nous initierons ainsi avec force et détermination à la vitalité des langues signées en leur diversité. Nous nous attarderons sur le grand registre des langues internationales auxiliaires, au premier rang desquelles figure bien entendu l’espéranto créé par Ludwik Lejzer Zamenhof (1859-1917), sans oublier l’interlingua, le volapük et tant d’autres… De même nous porterons notre regard sur ces créations qui çà et là auront nourri tant d’univers fictifs ou légendaires que ce soit aux côtés de Tolkien et du quenya, du sindarin, du khuzdul… ou de Star Trek et du klingon… Autant d’univers aptes à nous rappeler à la force vivante de la langue et aux voies infinies qu’elle offre à notre créativité !

…Alors un ultime vertige nous surprendra à nous sentir désormais bien plus que des voyageurs, peut-être parce que nous aurons compris que nous sommes tout à la fois des sentinelles, mais aussi des acteurs engagés, enfants d’une génération dont la mission ne consistera plus seulement à sauvegarder nos 7000 langues, mais à les faire vivre, et à les partager par tous les moyens de cœur et d’esprit.

Eric

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