Le 21 mai, comme souvent depuis maintenant une bonne vingtaine d’années, je penserai à un nœud japonais oublié.
C’était par un matin radieux et froid sur la dune de Nata, près de Fukuoka, au bord de la Mer de Corée. J’avais la chance d’être associé en qualité d’auteur au projet artistique de mon ami Garlo, compositeur et musicien…
Nous sommes sur la plage, occupés à installer des guitares, des arcs sonores, des bambous feuillus, des furins, des oriflammes, des fanions de papier marqués de mots, pour les exposer aux jeux du vent et enregistrer la musique élémentaire de « Kaze », la création qui nous réunit ici.
Certaines des structures de bambou nécessitent un assemblage un peu complexe, à la fois souple et solide, capable de résister aux rafales, à la pluie, voire à la tempête qui parfois s’abattent sur notre étrange chantier. Des ouvriers japonais spécialistes des constructions en bambou se chargent de réaliser ces structures avec seulement quelques brins d’une belle et brute ficèle brune.
J’ai toujours aimé le bambou et les constructions en bambou, alors je les observe, fasciné par leur art. À un moment mon attention se fixe (de près !) sur les mains de l’un d’eux alors qu’il exécute un nœud qui me parait tout à fait étranger à tout ce que je peux connaitre en la matière et extraordinaire de simplicité, d’élégance, d’intelligence.
Cet homme aux mains magiques remarque mon intérêt et, sans que nous échangions une parole (il ne parle que le japonais dont je ne sais pas trois mots), il décompose pour moi les mouvements et voltes à imprimer à la ficèle pour réaliser ce nœud, il me corrige quand j’essaie de mettre en pratique son enseignement. Et à la fin, je sais à mon tour nouer les choses à cette merveilleuse façon japonaise. Et je suis heureux comme un enfant de cet infime et précieux apprentissage. Je le rapporte en France.
Pendant longtemps je me suis entraîné à pratiquer ce nouage, à le reproduire, le plus souvent à vide car l’occasion de rendre les choses solidaires entre elles par un simple nœud est assez rare, finalement. On cloue, on colle, on visse, on soude. Plus rarement on noue, à part nos lacets de souliers.
Ainsi, par défaut d’un usage utile et régulier, j’ai espacé la pratique et j’ai fini à mon grand regret par oublier le nœud que j’avais tant aimé apprendre.
Mais je n’ai pas oublié le moment où cet homme et moi avons noué, par-delà les cultures et le langage, le lien précieux de la transmission.
Nouer des liens. Le 21 mai, j’aimerais penser aux nœuds, à l’importance vitale qu’ils ont eue, ont et auront encore longtemps pour nous, les humains.
Oh ! J’allais négliger un dernier détail qui à mes yeux n’est pas sans importance : ce nœud appris puis oublié faisait partie de la catégorie de ceux qui libèrent aussi bien qu’ils lient. Il suffisait de tirer sur l’un des brins de la ficèle pour libérer ce qui avait été assujetti.
Auteur : Joël Couttausse