Pour une histoire d’histoires…

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Être. Être humain… Une histoire qui prend corps avec l’avènement d’homo sapiens et qui se projette dans un futur indéterminé où se mêlent, entre autres, dérèglement climatique, relations internationales plus ou moins détonantes, équilibres & déséquilibres socio-économiques ou encore survenance de l’Intelligence Artificielle…

Chacun de nous expérimente un bout de cette histoire, y participant sans toujours nous y sentir partie prenante. Quel rapport en vérité pouvons-nous individuellement établir avec les pyramides d’Égypte, le calendrier maya, le mouvement des suffragettes, les dynasties chinoises ou la création du braille ? Autant de faits et réalités, plus ou moins anciens et souvent éloignés de nos préoccupations et emballements du moment.

Une question nous vient pourtant : et si tous ces fragments disséminés au cours de l’histoire humaine gravitaient tout au contraire et bel et bien autour de nous, entendons de chacun, chacune de nous ? Et si leur histoire renvoyait à une série d’histoires : histoire de vie et de mort, histoire d’espace et de lieux, histoire de sociétés et d’individu, histoire d’objets, histoires d’art… ? Et si une meilleure saisie de chacune de ces histoires, et si leurs innombrables croisements nous invitaient à revisiter notre rapport à un instrument, à une épopée, à un arbre, à un édifice… ?

C’est cette idée que nous avons voulu ici explorer : idée de nous promener pendant quelques heures dans l’entrelacs des temps humains, et occasionnellement de ceux qui les ont précédés. Idée d’y collecter quelques prétextes, 75 pour commencer [liste], afin de tenter de les relier, au gré de douze axes susceptibles d’en proposer une lecture croisée. Idée d’y esquisser une boussole afin de favoriser notre voyage dans une myriade d’autres récits, d’autres fragments enclins à les questionner et les enrichir.

Bienvenue dans cette histoire d’histoires…

1. Histoire de Vie & de mort…

Parce que l’histoire du monde se confond largement avec celle de la vie qui s’y est déployée, incluant la succession des crises biologiques qu’elle a pu connaître, parce qu’elle y entraîne celle des millions d’espèces qui s’y sont succédé, quelle idée nous faisons-nous de tels équilibres ? Quelle idée nous faisons-nous de l’héritage dont nous sommes tous et toutes tributaires, et qu’occasionnellement un simple morceau d’ambre [28] peut rappeler à notre mémoire ? Comment accueillons-nous toutes ces étapes dans notre vie quotidienne ? De l’histoire des chats [25] à celle des abeilles [26], de la multiplicité des arbres, qu’ils soient séquoia, bouleau ou baobab [23/68] à celle des fleurs [17], comment concevons-nous la place et la responsabilité du genre humain à l’égard d’un tel héritage ? Comment jugeons-nous des formes multiples de violence et de déni qu’il a contribué à normaliser ? Du Dia de los muertos au Mexique [06] au joyeux cimetière de Sapanta en Roumanie ou aux cercueils fantaisie au Ghana [22], en quoi l’idée que nous nous faisons de la mort en dit-elle long sur notre sens même de la vie ? En quoi ce fil de vie, raconte-t-il l’histoire de toute présence sur terre en son récit renouvelé à chaque naissance [30] ou renaissance [03] ?

2. Histoire de corps & de sens…

Des cheveux que l’on ne coupe pas au regard des croyances sikhs [54], à la peau que l’on marque en fonction d’autres valeurs dites du moko chez les Maoris [16], de la beauté masculine des Peuls Wodaabe que l’on expose à un jury de femmes lors du Guerewol [43] à la boisson que l’on consomme par rite, dite kava, en Polynésie [73], notre corps est sous bien des aspects le vecteur de notre relation au monde et l’histoire n’a jamais manqué de le solliciter. Combien parmi ces aspects se glissent-ils dans le récit historique où l’on va aller jusqu’à spécifier une particularité à ce point définitoire qu’elle en deviendra la lecture principale. Ainsi du roi Harald dit « à la dent bleue » [01], ou encore de l’invention du système « braille » auquel le jeune Louis laissera son nom [11]. Qu’il s’agisse de relation aux handicaps, de sollicitation des sens, mais aussi de notre interprétation des rêves [60] ou des règles d’hygiène, par exemple à travers les cultures du bain, qu’il s’agisse de l’histoire de la bière, du vin ou du chocolat, dans le vaste registre de nos habitudes d’alimentation, comment toutes ces facettes autorisent-elles en se recomposant sans cesse une compréhension de notre espèce et de ses manières, notre manière de ressentir, d’éprouver, de célébrer, de dire… ?

3. Histoire de matière…

Un objet en métal, un départ de feu, une eau qui coule, une pierre que l’on grave, un papier que l’on griffonne… quelles que soient les dimensions que nous abordons dans ces lignes historiques, il en est une qui les autorise toutes, c’est celle qui place la matière et ses variations au rendez-vous de bien des histoires. Aussi fascinantes soient en effet les architectures de la pensée, la force des spiritualités (à 7) ou la puissance des arts (à 12), c’est souvent, à la suite de la corporéité qui précède (à 2), dans un univers matériel que tout ceci prend formes. L’histoire de la vie (à 1) y trouve ses ressources, et ce ne sont ni les approches classiques des éléments naturels, qu’ils soient eau, feu, vent, terre, bois ou métal, ni les classifications du tableau des éléments périodiques, qui en démentiront la primauté. Où se manifestera l’histoire de l’eau, de sa rareté à sa surabondance comme dans le cadre des crues durant le Kuomboka en Zambie [18] ou la gestion des périodes de pluie et de sécheresse au Cambodge [36]. Où s’animera le rapport au feu en écho aux âges d’un mythique âge glaciaire en Australie [07] ou lors du festival de Samain en Irlande [06]. Où se révèlera l’aveuglement que des éléments métalliques, et l’or plus particulièrement, peuvent occasionner comme dans la recherche de l’Eldorado [19] ou le mythe de Midas [32]. Sans oublier bien entendu notre rapport aux énergies que ce soit dans leur obtention, la lutte qu’elle peut susciter, comme dans leur conservation, mais aussi aux déchets et à l’autre récit qu’ils apportent sur le temps qui nous assemble.

4. Histoire d’espace et de lieux…

Avons-nous toujours à l’esprit l’importance de la Terre, de ses climats, ses saisons [06/18] et de son histoire sur les milliards d’années ? Terre sur laquelle se déroule notre existence et sans laquelle rien de ce que nous connaissons ni expérimentons ne serait possible. Une histoire profondément ancrée dans celle de l’univers, et des cosmogonies qui tentent de la décrire qu’elles soient mayas, bambaras ou tahitiennes. Comment face au dérèglement climatique et aux équilibres de chaque sol [58], ne pas prendre toute la dimension de ce rapport vital, puissant & fragile ? En appeler aux sagesses de la Pachamama andine, ou du mythe de Sedna chez les Inuits [09] ? Ou encore retrouver la dérive des continents [63] et les chemins par lesquels la vie (à 1) s’y est inscrite ? Penser l’histoire de l’espace, des reliefs, des lieux qui l’ont progressivement composé et dont chaque montagne, vallée, fleuve, désert ou forêt exprime une aventure singulière ? Une aventure susceptible des plus forts attachements sur le temps plus ou moins long des groupements humains qui les ont habités et auxquels nous nous associons souvent…

En matière d’habitats, comment ne pas aussitôt en appeler à une autre histoire des plus signifiantes : celle des édifices et des ensembles ruraux ou urbains qui en ont émergé depuis le néolithique ? De quoi rendre hommage aux formes troglodytes s’accommodant de la nature avec génie, comme aux constructions les plus sophistiquées révélant une autre forme d’accomplissement dans les temples-montagnes d’Angkor [36], ou l’environnement lacustre de Tenochtitlan [68]. D’un lieu à l’autre, s’y tracent bientôt les routes qui relient tous ces espaces et les sociétés qui y sont implantées. Routes des épices ou de l’encens, routes de la soie ou de l’ambre [28], route romaines ou incas [13]…

De quoi conclure en nous questionnant sur les moyens mis au service de ces innombrables déplacements, mais aussi sur les raisons de les opérer qu’il s’agisse d’explorateurs aventuriers comme Marco Polo [12] ou Thor Heyerdahl et son Kon Tiki [12], du plus grand pèlerinage au monde avec la Kumbh(a) mela [21], ou d’une histoire migratoire qu’elle soit celle des Roms [51] ou de la porte dorée » à Ellis Island [53]…

5. Histoire de temps…

Par trivialité, l’histoire renvoie à notre relation au temps. Pourtant a-t-on toujours à l’esprit qu’une telle évidence, aussi partagée soit-elle, ne nous libère nullement d’en questionner la variété, d’une société, d’un âge et parfois même d’une personne à l’autre ? Du temps linéaire au temps cyclique cher aux Indiens, ou à la vision du temps chez les Aymaras pour lesquels le passé est devant nous, comment la perception du temps joue-t-elle dans notre saisie de la réalité et des phénomènes qui s’y déploient ? Comment l’histoire même de cette relation nous avise-t-elle de son rôle décisif dans nos équilibres journaliers ? S’il est une manière d’en approcher la variété, c’est sans doute dans la grande pluralité des calendriers [33] qu’il nous faudra la trouver dont les modèles bouddhiste ou zoroastrien, chinois ou hébreu, julien ou grégorien, attestent de l’inventivité constamment renouvelée… Et que dire du récit qui donne à ce temps toute son interprétation historique, dans toute la force des possibles désaccords qui s’y glissent de part et d’autre d’une frontière, d’un fleuve, d’un océan ? Peut-on imaginer une histoire des humanités qui accueillerait avec apaisement ces histoires différenciées ?…

6. Histoire de sociétés & d’individu…

« Homo sapiens » [61] ! En voilà bien une histoire qui ne cessera de faire couler de l’encre. 300000 ans plus tard, qu’avons-nous accompli ? À quoi avons-nous échoué ? Que devrions-nous modifier ? À l’observer dans sa diagonale un peu folle, et dans ses innombrables travées, l’histoire des êtres humains est en tout point inédite. Celle d’une espèce dite intelligente, et indiscutablement « superprédatrice » qui, en un temps record, s’est non seulement adaptée à la variété des environnements, mais s’en est approprié la moindre parcelle tombée sous sa coupe. Histoire d’innombrables peuples qui s’y sont constitués, de sociétés qui y ont vu le jour qu’elles soient suméro-akkadiennes, celtes, ou nilotiques. Et des Maasaï [30] aux Navajos [72], des Khmers [36] aux Slaves [38], force est de nous demander quelle idée nous sommes-nous faite de ce « qu’être humain » veut dire ? Le petit Minik [09], perdu à New-York en 1897, détient-il la réponse ? Dans ce questionnement, une variable a joué son rôle déterminant, celle de la famille, qu’elle engage à des alliances, à des unions [02/43], qu’elle se traduise sous la forme de fratries [20], de parentés… Tout ceci questionnant le rapport aux assemblées qui se font et se défont, aux festivités qui s’y sont multipliés, ou encore aux sports enclins à l’éclairer sous un jour particulièrement riche [71]. Un temps aussi pour nous demander quelle a été la place respective des hommes et des femmes tout au long de l’histoire ? Comment l’invention d’une écriture par et pour les femmes dans le centre de la Chine [56], ou la lutte pour le droit de vote menée par les suffragettes [47], comment leur place dans la relation au pouvoir [55/64], ou dans la science [01/35], désignent ou non les chemins qui restent à tracer ?…

7. Histoire de savoirs, croyances & communication…

Savoir ! Bien entendu, on peut aborder la chose sous l’angle le plus large, celui des encyclopédies [44] et il est bon de le faire pour en questionner l’objet. Mais plus couramment, qu’entend-on par savoir ? Comment l’histoire des savoirs nous aide-t-elle – ou non – à penser la nôtre au quotidien ? Fascinante aventure que celle de l’enfant que nous fûmes débutant avec une page vierge et constituant son lot de compréhension tout au long de sa vie, renvoyant chacun, chacune de nous aux conditions dans lesquelles tout ceci s’est exercé. Appel aux savoirs de l’école et de la multiplicité des établissements chargés d’enseigner, des terakoya bouddhistes aux edduba mésopotamiennes, à la rencontre de ceux & celles ayant choisi de les enseigner, les questionner. Appel aux savoirs des rêves [60] diversement interprétés de l’Amazonie à la Malaisie, des Achuar aux Senoï. Appel au chemin de vie, dans l’extrême et incroyable diversité des rencontres que nous y faisons, que nous y ferons. Émergence des idées, des pensées, des philosophies et d’utopies récurrentes [44]… Émergence des manières d’affirmer et de nier, de donner du sens au monde à travers la panoplie des signes et symboles que nous pouvons y convoquer [01/41]. Émergence aussi des vérités qui nous environnent et évoluent souvent avec le temps, et les pouvoirs qui y adhèrent.

Bien entendu s’il est un levier de vérité indissociable de l’épopée humaine, c’est dans le chaudron des spiritualités qu’on le trouvera. De l’apparition du Sikhisme [54] à celle de l’Islam [34], des fondements du Judaïsme à la place du Christianisme, du Rastafarisme [05] aux pratiques animistes, de l’Hindouisme [21] au Jaïnisme, quelle fascinante richesse porteuse de paix et de sagesse ! Et quelle désolation d’autant plus grande de la voir parfois kidnapper par des individus indignes d’y être associés.

Enfin, ce rayon de l’histoire comporte également un volet communicant dans lequel se déploie toute la palette des milliers de langues & langages qui y ont pris naissance, s’y sont côtoyés, et pour certains ont disparu. Des langues aborigènes australiennes [07] aux hiéroglyphes égyptiens [24], des proverbes chinois [10] à la création de l’espéranto [70], de la fabrique des emojis [04] à celle de l’alphabet cherokee [23], avons-nous toujours conscience de la place essentielle que tient cette communication dans les équilibres du monde en termes d’échange intergénérationnel, interculturel mais aussi de dialogue et de partage du sens ? Dimension à travers laquelle sera bien entendu convoquée l’expression des sentiments et sa palette infinie de manifestations à travers les âges, si bien reflétée par la palette des salutations [52] ? Par exemple qu’en a-t-il été de la colère, du respect, de l’amour [66], de la jalousie, du bonheur [46], de la peur [38] ou encore de l’humour ? Concernant ce dernier point, invitation à nous lancer dans les contrées d’Afrique de l’Ouest & Centrale, à la rencontre de la « parenté à plaisanterie » [50] ou dans une bonne blague de pizza faite au dalaï-lama [03]…

8. Histoire de mesure…

Il se peut que nous passions à côté de cet axe sans le voir, tant il sait se faire discret. Pourtant, combien son rôle est décisif dans l’architecture du monde et son long cheminement. Cet axe nous parle le langage des chiffres, et des nombres. Il se fond dans l’histoire des systèmes de mesure, y relevant des pouces et des coudées, jusqu’à l’avènement du système métrique [39]. Il interroge la construction des édifices, le tracé des routes, celui d’une ligne [31], la présence des instruments qu’ils soient là pour mesurer la distance à la lune [29], ou celle du temps qui passe. Quantité de systèmes numériques y ont ainsi vu le jour, qu’ils soient quinaire (en base cinq) ou vigésimaux (en base 20). Toute une manière différente de comptabiliser l’univers, de le nommer, de le penser. Et de nous renvoyer, que nous soyons ou non un as en mathématiques, à l’omniprésence de ce facteur numérique dans notre découverte du monde…

9. Histoire d’activités et de techniques…

A-t-on idée du nombre d’activités conduites simultanément à travers le monde en cet instant même ? A-t-on encore plus idée de toutes celles qui ont pu les précéder afin de façonner les différentes étapes de l’aventure humaine et de ses incarnations ? En quoi ce tourbillon et le vertige qu’il promet, présentent-ils un quelconque intérêt, entendons pour ce que moi-même je vais ou suis en train d’entreprendre ? En vérité, notre propre activité, intellectuelle, manuelle, spirituelle, s’inscrit dans ce vaste flot entrant ou non en résonnance avec tout ou partie des travaux, des jeux, des finalités qui s’y croisent à l’infini, s’y complètent, s’y entrechoquent, s’y opposent, s’y fécondent. Le monde humain est l’incontestable résultat sans cesse renouvelé de ces myriades d’interactions. Quel récit en avons-nous ? Comment s’est développé cet incessant mouvement des savoir-faire, des artisanats, de la transformation des matières, de la transmission des métiers ? En quoi un fabricant d’épitaphes dans le nord de la Roumanie [22], ou une apicultrice slovène [26], en quoi un éleveur de rennes en Sibérie ou un conteur kirghize [37], nous offrent-ils l’occasion de revisiter constamment le sens que nous accordons à la fabrique humaine, à sa raison d’être, à ses moyens, à ses possibles progrès ? Et puisque nous évoquons le progrès, comment l’histoire des sciences & techniques a-t-elle pris sa part, parfois contradictoire, dans ce mouvement ininterrompu ? De l’inventivité qui la porte [62] à la reconnaissance dont elle bénéficie quelquefois à l’instar des illustres Nobel [35], de la multiplication des robots [08] aux thérapies géniques ou à l’avènement de l’intelligence artificielle, en quoi ce progrès est-il heureux – ou non ?…

10. Histoire de pouvoir & de justice…

Des rois et des reines [01/32/46/69] que l’on intronise et qui parfois abdiquent ou sont déposés, des empires [29/36] qui se fondent et parfois périclitent, des nations qui forgent leurs mythes [14], des nations qui se créent [45] et gagnent leur indépendance [58], l’histoire est souvent racontée à travers le filtre de la relation au pouvoir. Et bien entendu, cela ne manque pas de raison tant le pouvoir décide en partie non négligeable de tous les autres axes, ou y aspire tout du moins. Occasion toute trouvée de nous intéresser à cette succession infinie de figures plus ou moins généreuses ou cupides, éclairées ou tyranniques, qui en composent la galerie illimitée – les candidats s’y bousculent. Mais occasion également de pousser la porte des offices, de déambuler dans les coulisses du pouvoir, de quêter les petites histoires qui, inévitablement, en accompagnent le récit solaire. Qui fut réellement Hailé Sélassié Ier [05] ? Comment Diana Abgar [55] devint-elle l’une des premières diplomates de l’histoire humaine ? Pourquoi Seretse Khama renonça-t-il à son titre de roi des Bamangwatos [02] ? Que nous disent tous ces éléments de la nature même du pouvoir ? En quoi sommes-nous engagés dans cette histoire, avec ou malgré nous ? Bien entendu, une dimension s’y présente et des plus riches, celle de la justice et des moyens de la mettre en œuvre [47], ou des façons d’y échapper, qu’elle relève du droit coutumier, du code civil ou de la common law…

Le pouvoir est par ailleurs très couramment associé à l’existence de forces armées utiles à son acquisition ou à son maintien, parfois à son renversement. Et nul ne s’étonnera dès lors de cette litanie des guerres et des conflits, interminable registre des victoires et des défaites plus ou moins héroïques. De la guerre dite des mousquets [16] à la chute de Sardes en Lydie [32], des batailles impliquant les Gardes suisses [59] à celles du peuple zoulou [67], comment percevons-nous cette longue succession ? Quelle place lui attribuons-nous, selon notre environnement, notre héritage, nos jugements, dans la marche du monde ?

Mais le pouvoir prend aussi une autre figure, active un autre levier, ceux de l’échange et du commerce, de l’argent et de la propriété. De la quête de l’Eldorado [19] à la fortune et l’infortune de Crésus [32], de la réinvention du crédit par Muhammad Yunus [49] au krach boursier de la tulipomanie [17], de la survie de certains monopoles à la création d’une start-up, comment tous ces éléments ont-ils pris une part décisive dans l’histoire des sociétés et des empires ? Comment me renvoient-ils à ma propre gestion de ces réalités pour moi-même ou pour autrui ?

11. Histoire d’objets…

Il ne sont après tout que des objets, qu’ils prennent forme d’un couvert, d’un meuble ou d’un vêtement, et leur histoire ne semblerait intéresser que les amateurs de brocante et ceux qui en gardent le vague souvenir. Les objets ne sont-ils que cela ou bien mériteraient-ils, à l’instar des activités qui leur ont donné jour (–> 9), de gagner ou regagner notre meilleure attention ? Dès lors que l’on se pose cette question, se modifie le regard que nous pouvons porter sur ces assemblages de matière et les raisons qui les ont vus naître. Un possible réenchantement nous y guette revisitant parfois les usages auxquels nous les avions destinés, questionnant la transmission plus ou moins longue dont ils ont pu bénéficier.

Comment la fabrique d’une kuksa, tasse sami [66] ou celle d’un peigne sikh [54], comment la production de bijoux touaregs [57] ou de miniatures en hommage à Ekeko [65], comment l’élégance de la sape à Brazzaville ou à Kinshasa [48], configurent-elles dans leur grande créativité ce rapport aux objets ? Qu’en est-il de l’économie humaine, sociale, de cette production et de l’enchevêtrement qu’elle autorise ? En quoi y sommes-nous impliqués tout au long de notre existence dans le choix des objets qui nous accompagnent, et des éventuels déchets qu’ils peuvent laisser derrière eux ?

12. Histoire d’arts…

C’est une histoire parmi les plus éblouissantes qui se présente en ce douxième et dernier axe : celle des arts & des artistes dont la participation à l’humanité constitue l’un des vecteurs les plus exaltants. Espace de créativité, de mystère, de remise en cause, de violence parfois… Depuis les premières productions sur les parois rupestres accompagnées ou non de sonorités de conques, rhombes et grattoirs, et jusqu’aux arts numériques, comment ne pas prêter la plus entière attention à ce cheminement d’une infinie diversité ? Comment la création d’un instrument de musique à l’instar du didgeridoo [07], comment l’écriture de l’épopée de Gilgamesh [15] ou de Manas [37], comment la production des « merveilles du monde » qu’elles soient antiques ou modernes, participent-elles à ce mouvement perpétuel ? En quoi y sommes-nous individuellement convié ?…