Dans l’analyse de la dynamique des langues à la Renaissance, on est tenté de privilégier les centres du pouvoir politique – les cours – ou du pouvoir économique – les grandes villes marchandes. Ces deux types de centres peuvent coïncider, le lieu de la cour devenant alors une véritable capitale. Les langues y font, dans cette phase historique où l’on assiste à la consolidation de l’État-nation, l’objet d’une attention particulière. Plusieurs facteurs concourent à en assurer une relative régulation et uniformisation, corollaires de leur diffusion : si les nouvelles structures politiques exigent une unification linguistique, l’imprimerie tend aussi à imposer un modèle et à le diffuser massivement.
Contrairement aux futures capitales des États-nations, certaines grandes villes se distinguent par une proposition linguistique n’encourageant pas l’uniformisation, bien qu’elle mette à profit le renouveau des structures politiques ou des moyens de l’imprimerie. Ces centres se trouvent au milieu d’ensembles politiques eux-mêmes divisés ou aux allégeances multiples.
Dans cette perspective, deux territoires nous intéresseront particulièrement : les Pays-Bas méridionaux et l’Italie sous domination espagnole, avec leurs centres respectifs que sont Anvers, Gand, Bruxelles d’une part, Milan, Naples et Palerme de l’autre. Dans ces terres anciennement intégrées à l’Empire et aux confins entre plusieurs ensembles politiques, la langue se décline au pluriel et n’est pas la matrice d’un territoire, qui doit trouver d’autres voies de définition politique. On n’y assiste pas à ces amorces de centralisme linguistique observables en Castille ou en France. La vie courante favorise la superposition, dans l’administration comme dans la littérature, de plusieurs langues, qui oblige toute personne porteuse d’une responsabilité discursive à une attention accrue aux modes d’emploi de chacune d’entre elles. La dynamique des langues vernaculaires, dans ces centres qui ne relèvent pas d’une logique de systématisation et d’unification, se traduit parfois par une conscience linguistique plus aiguë et par une créativité qui rejaillit bien au-delà des frontières de leur territoire, dans toute la littérature de chacune des langues concernées.
Par : Jochen Hafner | Mercedes Blanco | Roland Béhar
Source : meshs.fr | 2012