À quoi ressemble donc un « après-pandémie » ? Les idées ne manquent pas en la matière, prenant souvent, à raison semble-t-il, la forme d’un questionnement : « L’après-coronavirus : un monde nouveau est-il possible ?… » « L’après Coronavirus : un combat titanesque se profile entre « Souverainistes » et « Européistes »… » « L’après coronavirus : la généralisation du télétravail ?… » « Le climat, meilleur investissement pour l’après-coronavirus ?… » « L’après-coronavirus : rien n’a changé, et pourtant tout a déjà changé… »
Soit, il semble donc acquis qu’il y aura un « avant » et un « après », ce qui en soi ne pose aucun problème à une vision ordonnée du temps (tout au moins pour qui s’en accommode) et de l’encadrement de tout phénomène qui s’y inscrit. À ceci près que ce phénomène-ci porte en lui par sa nature même, une galaxie de phénomènes et que les agréger pour la commodité de pensée que cela est censé nous procurer, n’est peut-être pas la meilleure idée qui puisse être.
De fait, y avait-il donc « un » avant ? Entendons par là, étions-nous tous et toutes, avant la survenance de la pandémie, rassemblé.es autour d’une interprétation partagée du monde et de son état comme de ses obligations ? Avions-nous les mêmes analyses d’autres crises et, pour peu que l’on s’en souvienne, d’autres urgences : celles du réchauffement climatique, des crises migratoires, des conflits et du terrorisme, de la misère et des inégalités, etc. ? Non, bien entendu. Ce qui nous amènera à penser qu’il y avait sinon plusieurs « avant », très certainement une diversité d’interprétations à son égard. Est-il dès lors erroné d’imaginer plusieurs « après » contrastés, voire opposés ? Peut-on en ce cas parler d’un « après-coronavirus » quand l’avalanche des scénarios déboulant sur les ondes nous informe de toutes les catégorisations possibles. Les mêmes modèles y tiennent une place de choix répartis, grosso modo, entre les annonciateurs du chaos le plus inévitable (qui ont déjà leurs entrées à la table des prophéties), les adeptes du retour à l’identique (qui ne partagent pas à l’évidence la conviction de « l’impermanence » bouddhiste), les idéalistes forcenés (qui, appelant à « positiver », voient les signes précurseurs d’une brutale opportunité – un mot sur lequel nous reviendrons)… ou encore une masse assez peu considérée d’indécis.es et de sceptiques, ne sachant à qui se vouer.
En conséquence de quoi, oui, il y a bien un « après-pandémie ». Toutefois celui-ci ne saurait taire ses disparités locales, souvent violentes, distinctives des situations les plus hétérogènes. Et de même qu’il y aura eu quantité d’« avant », il y aura autant et plus d’« après ». Cela n’en rend pas la problématique moins centrale, mais suppose que l’humanité sorte de ses artifices de langage pour prendre la mesure de ce qu’« un » après à la hauteur de ce qui aura été vécu, ressenti, subi, espéré, idéalisé… peut induire comme véritables modifications dans la manière même de concevoir notre inscription commune dans le temps de l’humanité. Qui sait, peut-être une meilleure considération de ces deux termes apparemment si anodins que sont « avant » et « après », pourrait-elle y contribuer…